SUR LES TRACES DE MON ENFANCE : discussion

le 30/11/2024 à 15h35
Aéroport d'Alger. 14 h 13. 1er novembre 2024.
Assis devant la porte 13, j’attends le moment où nous serons appelés pour l'embarquement. 1 h 30 à attendre. Mon fils est allé se choisir de quoi se sustenter. Notre vol vers Paris CdG se fera sur Air Algérie en Airbus A332.
Ce 1er novembre 2024 est important pour l'Algérie. Le pays fête l'insurrection du 1er novembre 1954 dite "les fils de la Toussaint". La guerre d'Algérie a commencé ce jour de fête chrétienne, il y a de cela 70 ans.
De part et d'autre de la porte 13 de grands panneaux de télévision montrent un film qui passe en boucle sur cette insurrection, sur cette guerre qui balbutiait à ses débuts, à la grande surprise de la France et surtout des pieds noirs : on ne s'y attendait pas, même si quelques prémices laissaient présager qu'il se passerait quelque chose.
Avec moi, face à cette porte et les télévisions, de nombreux algériens, hommes, femmes, enfants attendent leur tour en dévorant les images de guerre. Ce sont bien évidemment des images à charge où les parachutistes de Bigeard sont montrés en bourreaux. Encore une fois la guerre est tronquée. C'est ainsi.
J'ai une pensée pour ce couple d’instituteurs européens qui furent les premiers morts, assassinés par le FLN le 1er octobre 1954. Guy Monnerot et sa femme originaires de Limoges, furent nommés en Kabylie pour assurer leur métier dans une petite école rurale. Le bus dans lequel ils avaient pris place, fut arrêté par un groupe de militaires disparates et armés. Ils les ont égorgés après les avoir abattus à coups de fusils. Ce furent les premiers morts de cette course à l’indépendance et par la suite, durant ces huit années, ce furent :
500 000 morts algériens
28 000 soldats français tués
65 000 soldats français blessés
65 000 harkis tués
3 600 civils européens tués ou disparus
(sources historiques, anciens combattants)
1 000 000 de pieds noirs déplacés.
Et pourtant, devant moi, ces personnes qui, pour la plupart sont nées bien après l'indépendance, prennent l'avion pour Paris, vers leur Eldorado ! D'autres avions de la même compagnie nous ont précédés pour Lyon, Marseille, Bordeaux... Un rapide coup d'oeil alentours me montre que mon fils et moi sommes seuls français (de souche), parmi ces passagers qui rempliront l'avion...
Que vaut l'Histoire devant cet attroupement de personnes qui doivent se dire à cet instant : on les a eus ces français, on leur a repris l'Algérie volée à nos ancêtres, Inchallah ! Et pourtant. Avant les français, avant les arabes, il y avait les romains, les phéniciens, des juifs et les berbères sans oublier leurs frères de sang, les mozabites qui furent convertis à l’Islam parfois dans le sang...
Lorsque cinq jours plus tôt, avec ma fille et mon fils nous débarquions à l'aéroport d'Alger pour retrouver les traces de mon enfance, je n'étais pas dans cette guerre. Je l'ai connue, certes, durant huit années, mais nous n'étions pas là pour cela. Oh que non ! Un merveilleux séjour aller se dessiner... Un séjour riche en émotions, riche en rencontres, riche en découvertes et, surtout, riche, pour moi-même, de souvenirs laissés là, à m'attendre depuis mes 16 ans lorsque j'ai quitté ce magnifique pays qui a toujours été dans mon cœur et je savais que je les emporterai, un jour, dans mes bagages… Je suis venu les chercher.
(à suivre)

le 30/11/2024 à 16h46
Ton récit commence merveilleusement bien

le 30/11/2024 à 20h07
merci

le 01/12/2024 à 10h23
Merci

le 01/12/2024 à 12h16
Lundi 28 octobre. Aéroport de Marseille - 10 h 45.
Mon gendre nous a accompagnés depuis Avignon. Devant ce grand bâtiment tout en longueur, je mesure désormais l’intensité de ce voyage que nous allons accomplir ; mes enfants vont vers l’inconnu et moi, je l’avoue, je vais également vers elle, différente certes mais insidieuse et révélatrice d’une longue attente qui a partiellement effacé tant d’images ! Il fait magnifiquement beau en cette fin de mois d’octobre. Joli présage qui égaille nos cœurs, nous assurant ainsi une certaine tranquillité d’esprit.
Dans l’immense salle des files se sont constituées devant les comptoirs de contrôle et d’embarquement. Des enseignes lumineuses nous renseignent sur les destinations en partance : Turquie, Grèce, Italie, Maroc, Algérie.
Dans notre file, le ton est donné : de nombreuses femmes voilées, des maris en djellaba noire, tous barbus, s’interpellent en parlant très fort. Ils emportent avec eux ce que j’évalue être des tonnes de bagages, à mains pour la plupart, des paquets ficelés, des sacs à dos dont certains sont usés et déchirés par endroit. J’ai donné comme consignes à mes enfants de bien surveiller leurs propres bagages, de ne pas les quitter des yeux. J’ai exigé de ma fille qu’elle laisse chez elle tous ses bijoux et qu’elle s’habille en pantalon et en portant des manches longues.
L’hôtesse qui nous remet notre carte d’embarquement nous a souhaité de faire un bon voyage et nous indique le chemin pour se rendre dans la salle d’embarquement. Il faut repérer notre hall puis notre porte. Je laisse cette obligation à mes enfants qui prennent, par ailleurs, leur responsabilité « d’accompagnateur » avec enthousiasme, parfois un peu trop à mon goût… Que voulez-vous, les grands enfants sortent leur papa !!! Mais le papa a 25 ans dans sa tête ! Ce que les rares rides qui strient mon visage, essayent de démentir avec application net malice...
Premier contrôle des bagages. Bien évidemment, il faut que j’enlève ma ceinture, geste qui me rappelle un triste moment à l’aéroport de Bordeaux... Prière de ne pas rire. Merci ! Bien évidemment, il faut que cela n’arrive qu’à moi : un préposé contrôle ma valise qu’il a ouverte, passe sur le pourtour un chiffon et le soumet au verdict d’une machine. Celle-ci a dû lui dire « c’est bon » et il referme mon bagage. Sans doute pris d’un excès de zèle, il me demande d’écarter les bras et me tâte avec son bâton un peu partout sur le corps. Je serre les jambes de peur de voir mon pantalon choir sur mes chevilles. Prévoyant, j’avais enfilé un joli boxer en flanelle et à fleurs… au cas où ! Je suis un des rares passagers à être ainsi palpé ! Un barbouze en mission suis-je pris !
Nous avons attendu près d’une heure avant d’embarquer. Cela nous a permis de soulager, outre nos conscience, une vessie très patiente qui nous a remerciés d’avoir pu évacuer un petit pipi ! Notons au passage que les WC dans cet aéroport sont rares et que celui que nous avons déniché sous un escalier encombré, ne nous donnait aucune garantie de salubrité !
Et c’est avec 20 minutes de retard supplémentaire que je vais enfin m’asseoir sur mon siège, ma fille près du hublot, mon fils à ses cotés et moi près du couloir. J’ai fait rire une des hôtesses aux yeux espagnols à qui j’ai demandé si je pouvais avoir deux gilets de sauvetage. « Ma pourquoi monsieur, un suffit ? » « Je ne sais pas nager lui ai-je dit ».
Les moteurs se font entendre, l’avion tremble, il roule longtemps, trop longtemps à mon goût mais finit par se cabrer. Je suis collé à mon siège. L’aventure commence à cet instant précis, celui où les roues de l’avion quitte la France. Je suis bien, très bien même. Mes enfants me prennent la main, me serrent les doigts. Sous l’avion, la mer se déroule, cette mer Méditerranée que nous avions traversée dans un sens et que je survole aujourd’hui en avion pour arriver plus rapidement sur MA terre ! Ma fille me dit : « Ça y est mon papa chéri, le rêve commence ! ». Aucune appréhension ne vient m’effleurer. Je pars confiant…
(à suivre)

le 01/12/2024 à 13h52
"Confiant" et courageux je dirais mais l'envie était tellement grande qu'elle t'a permis d'outrepasser tous les problèmes, tracas, peurs... et tout s'est semble t'il très bien passé
A + pour la suite

le 01/12/2024 à 14h04
Un bisou d'encouragement

le 01/12/2024 à 14h56
merci

le 01/12/2024 à 17h01
Par le hublot nous voyons la côte algérienne se dessiner, frangée d'écume comme si une craie blanche aurait dessiné le tableau de ce trait de côte. Ma terre natale est là, sous mes yeux ! Incroyable, inimaginable il y a quelques jours encore ! J’avoue que je réalise pas que dans quelques minutes je foulerai le sol de l’Algérie qui fut encore française pour une semaine encore au moment où je l’ai quittée. La seule image qui me vient alors que l’avion entame sa descente, c’est la photo de papa et de maman, souriant à pleines dents, mon père me tenant dans ses bras, moi, emmitouflé dans une espèce de burnous, un bonnet chat sur la tête. Je devais avoir un an, un an et demi. C’est cette image qui m’est apparue. Bien plus tard, mon père à mes côtés pleurait en silence en regardant Alger s’éloigner alors que le bateau, terrible geôlier d’une journée de traversée, nous arrachait à cette terre que nous avions tant aimée, comme l’on arrache un arbre qui devient gênant pour la vue.
Et c’est ce silence sur ce bateau qui emmenait notre destin, que je ne veux pas entendre aujourd’hui. Je veux crier ma joie, je veux revoir les moments qui ont empli mon enfance, je veux sentir les odeurs, je veux revoir la mer, les plages, nos habitations ! Je veux revoir les rues où j’ai déambulé ! Je veux revoir le terrain de tennis et celui du basket où, avec mes copains et copines, nous refaisions tous les matchs pour lesquels nous avions vibrés et qui se déroulaient là-bas, en France, grâce à la télévision que des voisins partageaient volontiers !
Et voyez-vous, ce sont ces images que je suis venu chercher. Ces images que l’on m’a volées ! Ces images qui, toute ma vie durant, ont été dans mon quotidien d’adolescent puis d’homme, de père, de papy. Je n’ai eu de cesse que de dire à mes enfants ce que fut mon enfance en Algérie, dans les bons moments comme dans les mauvais. Je n’ai rien enjolivé sur ma vie de famille, la géographie des endroits et surtout l’Histoire de ce pays dont je ne supporte pas que l'on déforme, sciemment, volontairement la Vérité, surtout par des personnes qui n'ont jamais mis les pieds !
Les roues se ruent sur le tarmac : je suis arrivé chez moi ! Je respire à fond, une certaine angoisse me serre la gorge, je respire un grand coup, l'appréhension se détache.
- Alors papa on l'a fait, hein ? Me disent tour à tour mes enfants, yeux grands ouverts, sourire large et fiers tout de même. Ils ont voulu organiser ce voyage pour moi, pour nous, sans oublier leur maman qui aurait tant aimé être du voyage et j’aurais été le mari le plus fier en cet instant, lui donnant le bras et répondant à ses nombreuses questions.
Dans le long couloir qui nous mène aux contrôles, je regarde par les baies vitrées les montagnes qui marquent une barrière parallèle et naturelle entre la mer et l'Atlas si proche. Et là devant moi, se dessine ce piton rocheux que je contemplais depuis la terrasse de la maison de mes grands-parents paternels. Il était là, devant moi et je l'ai entendu me dire : "Tu vois, je t'ai attendu, je savais moi aussi que tu reviendrais !" Ce piton que j’avais baptisé « le doigt en l’air », était pour moi une sorte de fétiche. Il est placé tout à côté d’un massif montagneux très boisé, enneigé les hivers. Il me semblait qu’il montait la garde à l’extrémité d’une rangée de soldats vêtus de parade, prêts à être passés en revue.
Cette imagination d’enfant est intacte.
Dans ce monologue inespéré, c'est à nouveau l'image de mon père qui s'interpose entre ce relief et moi. Mon père qui, dans sa jeunesse, parcourait les flancs du Djurdjura de la Kabylie dans son rôle de garde forestier. Il connaissait parfaitement cette région de l'Algérie et je me souviens des histoires de son métier, sur les pentes enneigées, à la recherche de cuissots de sanglier qu'il avait camouflés dans la neige, sa glacière. Il descendait ces morceaux de viande jusqu'à Tizi Ouzou où l'attendait ma mère ; je n'étais pas encore né...

le 02/12/2024 à 11h38
La suite! La suite !!!

le 03/12/2024 à 16h09
Passage obligé aux toilettes puis, direction le contrôle des passeports et des visas. Il y a foule et l'attente sera longue, identique en temps à notre voyage depuis Marseille ; près de 2 heures !
Un message sur mon téléphone m'indique que notre chauffeur/guide est présent avec mon nom écrit sur une pancarte. Dans cette attente forcée, mon esprit prend la fantaisie de fouiller dans ma mémoire. Que vais-je trouver ? Que vais-je voir ? Que ...?
La police est partout. Le policier qui contrôle mon passeport prend son temps. Il me dévisage, sans le moindre sourire ou semblant de sourire. De temps à autre il jette un œil sur l’écran de contrôle placé devant lui. Visiblement, il attend une réponse. A ce moment, je me demande si tout est correct, si on ne va pas me refuser l’entrée, si un autre policier ne viendra pas en renfort de contrôle, si... au bout d’un moment interminable pour moi, il me tend mon passeport. Je le remercie, je le quitte, je pose ma valise un peu plus loin pour attendre la fin du contrôle de mes enfants qui m’ont laissé passer en premier. Je regarde le policier. Il me fait un léger de signe de tête et m’adresse un sourire. Il a enfin compris que je revenais chez moi…
Dans les immenses couloirs le bruit devient insupportable : cris d'enfants, interpellations, hauts parleurs qui vomissent des mots arabes, français, anglais. On ne comprend rien et il nous tarde de sortir.
Le chauffeur est jovial, s'exprime très peu en français mais, avec mes souvenirs de bribes d'arabe alliés au langage des mains, nous arrivons à nous comprendre. Il se prénomme Kamel. Le ton est donné, ce sera le sourire puis les rires avec en toile de fond une certaine insouciance… Il nous a été confié par une amie franco-algérienne qui réside à Marne la Vallée et que nous avions connue par l’intermédiaire du jardin d’enfants de mon épouse. Cela fait 20 ans que nous nous connaissons et nous nous appelons souvent. Il sera là, pour nous, nous conduira partout où nous lui demanderons d’aller. Un confort matériel et Ô combien salutaire et réconfortant !
L'enfer, le connaissez -vous ? La circulation, la vitesse, le nombre infernal de voitures, diesel pour la plupart, les dépassements, la chaleur, la pollution déguisée en nuages orangés, les vapeurs insupportables d'essence et j'en oublie, font que nos regards inquiets se croisent ! Le dépaysement est total !
"Tu reconnais papa ?"
Non, je ne reconnais rien ! Les routes ont disparu. Ce ne sont que des autoroutes, bien entretenues certes, larges, à 3 ou 4 voies et même une 5ème avec la bande d'arrêt d'urgence qui n'a d'urgence que le nom. Dans ce flot infernal des voitures et des camions, les motos essayent de trouver leur place. Casque ? C'est quoi ? Protections ? Connais pas ! Code de la route ? Jamais vu ! Priorité à droite ? C'est quand tu veux. Feux rouges ? C’est pour faire bien dans le décor. Les séparations en pointillés ne sont pas respectées car pour que chaque voiture ait sa place, on roule sur ces points créant ainsi des voies supplémentaires. Donc, une autoroute à 3 voies peut se retrouver à 4 voire à 5 voies ! Et notre chauffeur ? Il maîtrise, il hurle, il est bon. Il conduit vitre ouverte, bras gauche à l’extérieur ce qui lui permet de questionner d’un geste les autres conducteurs pour savoir qui doit ou peut passer. Les croisements par devant le véhicule ? Un sport national ! Doubler par la droite ? Bien évidemment que c’est permis !
Je ne reconnais rien, dis-je ? C’est exact. Toutes les collines jadis boisées pour la plupart sont pelées et elles ont disparu, laissant la place aux immeubles de 15 à 20 étages, rangés les uns contre les autres, arborant tous la même couleur. « Ville nouvelle nous dit Kamel ». « Il n’y a pas de centres commerciaux ? » « Pas encore, un jour pi t’être ! » « Un jour c’est quand ? » « Dans 5 ou 10 ans Walhalla ! ».
Il faut bien comprendre qu’après l’indépendance, les habitants des hauts plateaux et même ceux
résidents aux abords du Sahara, sont venus en masse s’installer sur les bords de la Méditerranée. Pas assez de place pour tout le monde, il a fallu construire à la hâte en s’aidant du savoir faire et des
deniers de pays étrangers comme la Russie au départ puis la Chine, le Japon et d’autres encore…
Les panneaux annonçant les directions, suspendus au-dessus de l’autoroute, m’interpellent : Blida, Oran, Constantine, Boufarik, Zeralda. C’EST A CE MOMENT PRECISEMENT, que mon cœur commence à comprendre. Mon âme vibre. Il me tarde d’apercevoir le prochain panneau pour me situer dans cette nouvelle géographie autoroutière. J’ai en mémoire une ferme, un village, un alignement de cyprès, un chemin qui s’évade vers une colline et que nous empruntions souvent. Je n’écoute pas mes enfants qui me posent des questions. Je suis concentré par ce que je découvre. Ma voix intérieure me dit : « regarde à ta droite le panneau « Birkadeim », ça ne te dit rien ? ». Mais oui ça me dit. Une tante et son mari y tenaient un café et Ménerville tout à côté, ma mère y est née ! « Kamel on y va de suite ? » « Si pas possible, si tout cassé, si tous li travaux qui y’en a partout ! ». Je m’interdis d’être déçu...
Mon regard se porte vers une colline défigurée par les immeubles. J’aperçois entre deux rangées une pagode chinoise ou japonaise, qui sait ?
(à suivre).

le 03/12/2024 à 17h22
Que c'est beau et triste à la fois ! Beau que tu puisses revoir ’ton pays’ et triste de tous ces changements !
Toujours émue par ton récit.
J'attends la suite avec impatience !

le 04/12/2024 à 22h38
merci

le 05/12/2024 à 16h50
Pour cette première journée, nous avons contourné Alger. Avant de rejoindre notre hôtel à Zéralda, en bord de mer, j’ai demandé à Kamel de passer par Sidi Ferruch, appelé ainsi de mon temps et renommée désormais Sidi Fredj. Nous nous dirigeons donc plein ouest, sur une autoroute très fréquentée. Il est bientôt 16 h.
La plaine que nous traversons, la Mitidja, longue de 100 km et large de 10 à 25 km, encaissée au sud par les montagnes de l’Atlas Blidéen et au nord par les collines du sahel, est l’un des greniers de l’Algérie. Lors de la conquête en 1830 puis de l’installation des premiers colons venus de France, d’Espagne, d’Italie, de Grèce, la Mitidja était un immense cloaque où le paludisme et autres maladies sévissaient : choléra, typhus, peste, variole, tuberculose. Les nouveaux arrivants mouraient plus d’infections que de faits de guerre. Les problèmes sanitaires sont immenses et il a fallu créer à la hâte des hôpitaux, des dispensaires, des réseaux routiers puis ferroviaires..
Le village d’Ameur-El-Aïn où nous habitions, fut créé à partir d’un douar de quelques âmes autochtones. C’était une colonie suisse qui s’était installée comprenant une centaine de familles. En quelques années, la colonie fut décimée par le paludisme. Difficile constat, la plaine devra être assainie. Les travaux de canalisation des eaux furent titanesques et en l’espace de deux années, la plaine fut fertile. Reconnaissante, elle permit les cultures des céréales, des vignobles, agrumes, et légumes. Les arabes furent embauchés et aidèrent au développement agricole de l’Algérie. Le surnom de « Pieds-Noirs » prit naissance au moment où ces ouvriers européens qui ont œuvré dans cette tâche d’assainissement, revenaient de leur travail les godillots pleins de cette boue noire marécageuse. A leur arrivée en Métropole, les Pieds-Noirs étaient nommés de colons et même, de sales colons. En fait les colons n’étaient pas si nombreux que cela. Certains possédaient de vastes terres agricoles, en tiraient une certaine richesse mais les ouvriers ou contre maîtres français n’avaient absolument pas cette appellation.
Nous quittons l’autoroute pour emprunter une nationale qui grimpe sur la colline nous offrant ainsi un panorama fantastique sur la Mitidja. Puis, du haut de la colline, le panorama de la mer qui s’étend à perte de vue, se confondant avec le ciel pur.
Une chanson me vient à l’esprit, que je chantais avec ma petite sœur. Sur invitation de notre mère, lorsque qu’avec nos parents nous allions passer la journée en bord de mer, nous chantions joyeusement : « Bonjour la mer, bonjour la mer, bon-jour, Bonjour la mer, bonjour la mer, bon-jour... Et tous les quatre nous hurlions, vitres de la voiture ouvertes BONJOUR LA MER , BONJOUR LA MER, BON-JOUR !!! » Nos rires d’enfants insouciants se mêlaient avec ceux plus discrets de mes parents. Quels moments merveilleux ! Je revois tout ! La glacière orange qui contenait les morceaux de poulet froid et la salade de tomates, placée dans le coffre à l’avant de la Fiat 600, la table de camping repliée contre le dossier de la banquette arrière et qui nous labourait le dos, les chaises de camping coincées entre les dossiers des sièges avant et nos genoux, les couvertures, la bâche pour le sol, le parasol qui séparait mes parents, le ballon, les palmes, la bouée pour ma petite sœur, les lignes pour la pêche. Le dessert ? On se servait sur la route en cueillant les figues de Barbarie ou des figues fraîches.
« Qu’est-ce que tu chantes papa ? » Alors, pour eux, je chante : « BONJOUR LA MER, BONJOUR LA MER, BON-JOUR ! » Ce souvenir m’arrache de discrètes larmes. En cet instant, j’ai 6 / 7 ans. Mes enfants chantent avec moi et Kamel est tout sourire ! Et sans oublier et avec l’accent : « EN-VOIR LA MER, EN-VOIR LA MER, EN-VOIR !!!!!! ». ça, c’était pour le retour à la maison.
Sidi-Ferruch ! Je ne reconnaît pas ! La longue plage de sable fin a laissé la place à une marina (?) et de nombreuses constructions. A l’entrée, deux vigiles nous ont arrêtés. Palabres en arabes. J’entends le mot « français » prononcé par Kamel. La conversation s’éternise. Finalement on nous laisse passer. « I demande l’argent ! Si toi tout seul toi payer cher wouallah ! » Le bakchich… ! Nous faisons quelques photos, l’endroit est pratiquement désert en cette saison et il n’y a pas d’âme. C’est laid, sale par endroit. Nous retournons à la voiture. J’ai perdu mes souvenirs...
Nous voulions échanger nos euros en dinars. Kamel nous a dit : « Non pas la banque, tous des voleurs ! On va changer à Staouéli, fi moi confiance ! » Staouéli est un village non loin de la mer. C’était une station très prisée, très joviale où il faisait bon vivre. Il n’y avait aucun problème avec la population arabe comme dans d’autres villes d’ailleurs. Et là, en parcourant les rues en voiture, je revois les maisons coloniales (comme les arabes les nomment de nos jours). Elles sont là, les unes à coté des autres, les balcons se touchant, tristes à en mourir. Elles sont devenues ternes car le blanc de leurs murs n’existe plus. Beaucoup sont délabrées, fissurées et comportent pour beaucoup d’entre elles des étages construits à la « va vite » et en briques sans crépis, où les fenêtres ne sont pas habillées. D’autres ont été restaurées ou améliorées.
C’est cette tristesse que je ressens. Ce n’est pas de la mélancolie mais bien de la tristesse. Je vois des jeunes gens, des jeunes filles voilées, des garçons portable à la main et je me demande s’ils connaissent bien l’histoire de ces maisons. J’aimerais bien savoir ce qu’ils en pensent, qui les habite. Et ces images que je vois devant moi, je vais en rencontrer d’autres, beaucoup d’autres tout au long de notre séjour… Je suis désormais plongé dans l’Algérie, j’en ai pleinement conscience et, dans l’étreinte qui m’enserre la poitrine, je murmure : « C’est pas possible ! ». J’essaye de placer ces habitants de mon époque dans leur maison, les voir se héler, s’interpeller dans les rues, sentir l’odeur de l’anisette et… Non... l’exercice est trop difficile.
Mes enfants sont allés avec Kamel pour changer leur argent, chez un marchand de tissus. Que voulez-vous, il faut bien faire des affaires…, non ?
(à suivre)

le 05/12/2024 à 20h45
Merci
Je ne connaissais pas l’origine de ’pieds noirs’ .

le 06/12/2024 à 16h11
Je ne connais pas toute cette tristesse de devoir laisser toute son enfance derrière soi, mais tu nous l'explique très bien, tellement bien qu'il m'arrive d'être triste avec toi.
Aussi tu m'aides à comprendre le comportement de certains automobilistes
Changer l'argent chez un marchand de tissus plutôt que dans une banque ? bizarre, mais si tu y as trouvé ton compte

le 06/12/2024 à 19h10
Je te l'assure

le 06/12/2024 à 20h17
Tu ne m'étonnes pas
par contre les backchichs j'ai connu en Tunisie, ça me scandalisait ! comme tu me connais un peu je n'acceptais pas, mais parfois pas le choix

le 06/12/2024 à 20h31
Disons que dans les banques de ce pays, le taux de change est exorbitant et adapté, bien souvent, au faciès dixit notre chauffeur ...

le 17/12/2024 à 18h08
28 octobre 2024 – 16 h45 - Zéralda
Il nous tarde de rejoindre l’hôtel car nous accusons une certaine fatigue. Nous sommes agréablement surpris par cet établissement d’une grande chaîne hôtelière (5 étoiles). J’avais consulté internet pour choisir notre lieu d’hébergement. Ma fille avait procédé aux réservations quant à mon fils, il s’était occupé des billets d’avion.
Zéralda est une station balnéaire et, encore une fois, je n’ai rien reconnu. Je pensais revoir les immenses forêts de résineux, de chênes et d’eucalyptus mais rien, plus rien. Je constate toutefois que cette station est assez étendue, il y a pas mal d’hôtels mais, à cette époque de l’année, c’est désert. Ce qui m’impressionne toutefois, c’est cette poussière, ces papiers et autres bouteilles vides qui jonchent les caniveaux. Je n’arrive pas à m’y faire.
(photo ci-dessus empruntée à l'hôtel car trop de monde pour pouvoir faire sa propre photo...)
Par contre, l’hôtel est magnifique. L’accueil qui nous est réservé est de qualité, la courtoisie du personnel est remarquable. Ma chambre est grandiose. Un lit de 180 x 200, 2 fauteuils, une table basse, une belle salle de bain, 2 larges fenêtres, un magnifique nécessaire pour la salle de bain (gels douche, shampoing, crème adoucissante), renouvelé chaque matin, des draps de bain… bref, je sens que je vais me plaire. Mes enfants ont pris une chambre double.
La douche prise et après avoir changé de vêtements, nous allons prendre notre dîner.
Autre belle surprise ! La salle à manger est magnifique, spacieuse, mobilier confortable et, surtout, des rangées, des étages de victuailles : dattes, figues, melons, mandarines, pastèques, grenades, pâtisseries orientales de touts sortes, tagines de mouton, de bœuf, de poulet, de nombreux légumes en garnitures, du poisson, du couscous, des soupes, des olives, des piments, des condiments ! Il y en a partout, une centaine de plats ! Sans compter l’espace grillades où l’on peut demander à un cuisinier responsable du grill le morceau de viande choisi. Et, ainsi, tout est à volonté ! Pour information, le prix d’un repas à volonté par personne est de 12 € !
Nous sommes sur une autre planète, nous n’arrivons pas à décoller de notre fauteuil.
De retour à la chambre, mes enfants me demandent de faire un tour avec eux. Ils veulent se rendre dans un casino (?). Je m’interroge, leur dit que cela n’est pas possible car nous sommes hors saison et le-dit casino se trouve à 3 kilomètres. Têtus comme des ânes malgré leur âge (+ de 40 ans), ils passent outre et décident d’y aller seuls. Moi, je vais me coucher. Mais avant cela je les ai bien prévenus de ce qu’est ce pays, que nous ne sommes pas à Marseille, ni à Paris, ni à Avignon, que j’ai bien vu dans les rues des jeunes qui traînent et on ne sait jamais de ce qu’il pourrait arriver et je les dissuade encore !
Le lendemain matin, au petit déjeuner, ils me disent que j’avais raison ; ils n’ont fait que « 200 mètres » dans la rue et sont vite retournés à l’hôtel… « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années... » Notre chauffeur leur a proposé pour la soirée prochaine de les emmener en voiture, « ci plus prudent ! »
Zéralda avait une magnifique plage qui rejoignait la plage où nous avions notre appartement d’été, à Douaouda. La plage n’existe plus ! Les plages n’existent plus ! Pour quelle raison ? Ce magnifique sable qui faisait le bonheur des plaisanciers a été enlevé et à servi pour les constructions des immeubles et autres habitations. Il n’y a plus rien. A la place, c’est de la terre, de la roche, un sable mêlé de terre. Il n’y a rien pour pouvoir étendre une serviette. Seuls quelques hôtels ont préservé ce « sable » pour leurs clients. Des kilomètres de terres maritimes pelées. Un désastre. Tout a été construit à la va vite, sans plans de construction et d’aménagements. Kamel m’expliquait que la gendarmerie gardait les plages pour empêcher les populations de venir contester ces vols de sable. Par contre, ils se faisaient payer par les entrepreneurs et les aider à faire leur va et vient de camions…
Zéralda était un havre de paix. La longue plage large d’une bonne centaine de mètres offrait des heures de bien être. La ville était sécurisée car il y avait une grande base de la Légion Etrangère, le 3ème REI qui stationnait non loin de la plage. Nous recevions parfois chez nous deux ou trois de ces militaires et nous partagions ensemble le repas.
Je ne suis pas déçu par ce que je vois, je m’y attendais un peu, c’est vrai. Ce qui m’attriste c’est ce manque de rigueur, de propreté, d’entretien. Je pensais que les maisons dites coloniales avaient été entretenues, avaient trouvé des locataires qui auraient eu l’envie de continuer à faire vivre ces villes et ces villages. Les orangeraies, les vignes ont disparu. Cette terre jadis marécageuse, si riche, si généreuse, je ne la vois pas. Certes, le long des routes il y a bien des marchands de dattes, de quelques légumes, d’oranges, de citrons, stationnés le long des routes, généralement tout à côté des ralentisseur. Toutefois, elles sont rares les personnes qui achètent ; « ci trop cher ! » nous dit Kamel.
Demain nous partons voir, revoir plutôt, la ville où nous habitions et faire le tour des résidences de la famille… Je suis fébrile, il me tarde...

le 17/12/2024 à 18h40
Merci